L'EXPLORATION MINIÈRE ET SES DOMMAGES ENVIRONNEMENTAUX IRRÉVERSIBLES
Un héritage empoisonné
Dans les années 1970, il est devenu évident que les Grands Lacs étaient en péril. La pollution et les déversements en eaux usées avaient des effets dévastateurs. Durant les quelques décennies qui ont suivi, des progrès importants en matière de protection et de rétablissement de la santé des Grands Lacs ont été accomplis par les gouvernements canadiens et américains.
Cependant, de nouveaux problèmes viennent entraver les solutions jadis mises en place. Bien que la majeure partie du minerai de fer de haute qualité accessible au lac Supérieur a été exploitée à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, Nancy Langston, professeure d'histoire environnementale, souligne que le récent boom de l'acier a incité les sociétés minières à rechercher de nouvelles opportunités. De nombreux scientifiques sonnent l’alarme : les Grands Lacs sont à un stade critique de déclin irréversible. Pour sa part, le lac Supérieur, qui constitue les eaux d’amont des autres Grands Lacs est, dans l’ensemble, en bonne santé, notamment en raison de sa taille.
Or, la pollution minière menace l'eau propre, l'air pur, les ressources tribales et la santé humaine dans tout le bassin du lac Supérieur. La destruction des zones humides peut nuire aux habitats et contribuer aux dérèglements climatiques. Le rejet de sulfates et de mercure ainsi que les changements hydrologiques augmentent les facteurs de risques de méthylation et la bioaccumulation du mercure dans la chaîne alimentaire. La libération de sulfates via des boues de sulfures et de métaux lourds peut aussi avoir un impact négatif sur le riz sauvage en aval.
Dans le bassin du lac Supérieur, les technologies minières modernes ont modifié le portrait, et les cicatrices sont à la fois culturelles et écologiques. Nancy Langston souligne que ce qui est passé sous silence, c’est la santé des rizières sauvages, du touladi qui nage dans les eaux du lac Supérieur, des enfants de femmes empoisonnées par le mercure, ou encore les taux d’amiante rejetés dans le bassin versant par le traitement de certains types de gisements de taconite.
Qu’est-ce que l’extraction de sulfure?
L'extraction de sulfures métalliques (ou encore l'extraction de roches dures) consiste à extraire des métaux tels que le nickel, l'or et le cuivre d'un gisement de minerai riche en sulfures. Si le minerai sulfuré ou les résidus sulfurés comme les pyrites sont exposés à l'eau et à l'air pendant l'exploitation minière, une réaction chimique crée de l'acide sulfurique.
Nancy Langston explique que cette solution minérale très acide qui s'écoule régulièrement suite à une production d'acide sulfurique contribue au phénomène global d'acidification des eaux douces constaté à grande échelle. Cette solution, toxique en elle-même pour tous les systèmes biologiques, dissous également des minéraux naturellement enfouis dans la roche, telle que de l’arsenic, du plomb et du mercure.
Nancy Langston spécifie que ces métaux lourds sont prisonniers de formations rocheuses stables, de sorte qu’ils ne se déplacent pas facilement dans l'air ou dans l’eau. Or, lorsque cette solution acide se présente, ces métaux lourds peuvent rapidement migrer dans l’eau et terminer leur route dans les poissons qui s’y trouvent, altérant de la sorte les écosystèmes.
De plus, des enjeux de pollution sonore et lumineuse dans les zones d'exploration sont soulignés. Les impacts sismiques des explosions souterraines sont aussi nocifs sur la viabilité des œufs de poisson dans les eaux d'amont.
La pêche au mercure
Le mercure dans le lac Supérieur est une préoccupation importante. La rivière Saint-Louis – le plus grand affluent américain du lac Supérieur – a été étiquetée comme une zone préoccupante en 1992. Une étude menée par l’Agence de contrôle de la pollution du Minnesota (MPCA) a révélé des concentrations plus élevées de mercure dans les poissons dans le cours inférieur de la rivière Saint-Louis que dans les autres plans d'eau de la région.
Une étude récente mesurant le mercure dans le sang de près de 1500 nourrissons nés de mères vivant du côté américain du bassin du lac Supérieur a révélé que 8% avaient des niveaux supérieurs à la limite de dose de sécurité fixée par l'EPA. Au Minnesota, 1 nourrisson sur 10 présentait des niveaux dangereux de mercure dans leur sang, et les concentrations de mercure étaient plus élevées dans les échantillons de nourrissons du Minnesota. Les résultats de l'étude suggèrent que les niveaux élevés de mercure sont dus à la consommation de poisson contaminé.
L'U.S. Geological Survey a rapporté en 2009 que du mercure a été trouvé dans tous les poissons testés dans près de 300 cours d'eau à travers les États-Unis, et que les niveaux les plus élevés ont été détectés dans des endroits éloignés de l'activité minière. En effet, l'exposition au mercure est particulièrement fort dans les communautés autochtones qui dépendent du poisson comme aliment de base. Les contaminants transforment non seulement la santé des lacs, des poissons et des forêts, mais de ce fait, ils modifient également les pratiques et les identités culturelles des peuples autochtones de la région, rappelle Nancy Langston. Ces communautés dépendent pourtant de la pêche comme source de protéine à faible coût. Et, comme le dénonce Nancy Langston, l’exploitation minière bénéficie à des personnes totalement différentes que celles qui subissent les risques toxiques. Elle termine disant que les minorités ethniques, principalement les Afro-Américains et les autochtones, ont souvent moins de pouvoir politique pour bloquer les projets miniers dans la région où ils résident.
Le riz sauvage, une protéine ancestrale
Le riz sauvage naturel protège la qualité de l'eau, réduit les proliférations d'algues nuisibles et fournit un habitat aux poissons, aux mammifères et aux oiseaux aquatiques sauvages. Le riz sauvage est toutefois sensible aux sulfates rejetés par les mines et leurs déchets. La dégradation du riz sauvage est donc un indicateur de la pollution de l'eau explique WaterLegacy, une organisation citoyenne qui se bat contre la menace du projet de mine de sulfure PolyMet sur les eaux et les communautés du nord-est du Minnesota.
Les rizières sauvages sont également au cœur de l'identité culturelle et de l'économie des communautés Ojibwées (Chippewa). Riche en protéines et en hydrates de carbone, le riz sauvage est un aliment de premier choix et son importance était telle jadis qu’il comptait pour 25% de leur portion alimentaire quotidienne.
Comme l'ont montré des spécialistes de la justice environnementale, la pollution n'est pas uniformément répartie et les communautés autochtones sont exposées de manière disproportionnée aux déchets miniers toxiques. Au cours du dernier siècle et demi, le bassin du lac Supérieur a été transformé par l'utilisation industrielle, et en particulier par l'exploitation des chaînes de fer du Minnesota, de l'Ontario, du Wisconsin et du Michigan. Au cours des dernières décennies, les peuples Anishinaabes sont donc devenus des joueurs indispensables de la protection des Grands Lacs.
Ces communautés ont, par le fait même, documenté que le riz sauvage était abondant dans la rivière Saint-Louis jusqu’aux années 1950, jusqu'à ce que l'extraction de la taconite prenne son essor. Aujourd’hui, les niveaux de sulfate étant élevés dans la rivière, les peuplements de riz sauvage sont minoritaires et rabougris.
Une mort lente
Les changements climatiques ont un impact considérable sur les processus physiques, chimiques et biologiques naturels, comme le ruissellement et l’érosion ou encore le développement des terres humides dans les Grands Lacs.
On observe de nombreux effets du changement climatique dans la région comme le réchauffement des eaux, la diminution des précipitations et les modifications du niveau des eaux.
La hausse des températures engendre une plus grande évaporation de l’eau, ce qui perturbe les écosystèmes et le transport maritime. En hiver, si moins de glace se forme le long des côtes, le littoral est moins protégé lors de tempêtes, contribuant ainsi à l’érosion.
La région des Grands Lacs se réchauffe plus rapidement que le reste du territoire américain, selon un tout nouveau rapport commandé par l’Environmental Law & Policy Center de Chicago. Nancy Langston note toutefois que la raison reste inconnue. Elle souligne que la couche de glace en saison hivernale, de plus en plus mince, aidait fortement à maintenir la température du lac Supérieur stable.